Elle est debout, se tenant droite sur ses deux jambes qui tremblent à la place de son cœur qui s'est arrêté. Elle a les doigts fermement enlacés sur le morceau de bois qui, de la chaise fait le dossier et contre le carrelage terni par le temps, on entend les pieds qui grincent sous le poids de sa fébrilité. Et lui, lui il est assit. Il est assit sur la chaise juste en face, la mine fermée et sur la table, ses doigts qui s'enlacent. Les traits de son visage se sont figés, au même moment où sa santé s'est effritée. Dans la cuisine, il y a le soleil qui jette ses derniers rayons avant d'aller mourir de l'autre côté de l'horizon et dans l'atmosphère, il y a encore les échos douloureux de ses derniers aveux. J'ai un cancer. La voix est rauque et les intentions entraînées. Des soirées entières pendant lesquelles il s'est servi de son miroir comme d'un bouclier, qu'il a répété ces mots avant de les lui balancer. Elle, l'écorchée, elle laisse la lumière se réfléchir dans la larme qui perle sur sa joue et dans sa poitrine paralysée, elle étouffe lourdement son dégoût. Derrière ses rétines, une scène qui s'anime : celle où elle est l'auteur de l'étreinte bruyante de la chaise contre la fenêtre, celle où elle s'arrache les poumons en hurlant au crime, celle où sa main embrasse les mâchoires de cette maladie qu'elle refuse d'admettre. La pièce qu'elle saccage pour briser cette injustice qui la prive de son visage, ses ongles qu'elle arrache contre les murs inébranlables de leur cage. Mais dans le reflet des yeux bruns qui l'observent, il n'y a que l'ombre immobile d'une femme qui se perd. Alors de sa voix chevrotante et ses lèvres tressaillantes, elle ose la vérité. Mon amour, tu vas mourir. Une vie sans lendemain. Des au revoirs trop succins. Elle crèverait pour lui offrir un peu d'éternité, troquer ses propres jours contre sa liberté. Dans le froid de l'année qui vient, elle n'aura personne pour lui tenir la main : veuve pour le reste du chemin.

La loi de Murphy. Bel adage sorti tout droit d'un esprit au sobriquet homonyme, elle rythme les vies de Hill Head, fait battre les cœurs avec l'écume sur le sable. Tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera mal. L'empirisme à son apogée, le pessimisme objectivé. Du café déjà froid qui se brise sur le sol avec fracas, de la tartine mal beurrée qui choisi de tomber du mauvais côté à la voiture incertaine qui se prend d'amour pour un vieux chêne. Il n'y a pas couleur sans obscure, pas de joies sans mésaventure. Il y a que le destin qui prend souvent le mauvais chemin.